Avouons-le, à Québec, la gauche radicale, particulièrement la gauche antiautoritaire, est moribonde.
Ce n’est pas qu’elle n’a vu ses instants de gloire : Le sommet des Amériques, les squats, même les grèves étudiantes de 2005 et 2012. Le pouvoir était tenu en respect et lorsqu’ils ne devaient pas remplacer leurs dents, les fachos se terraient la queue entre les jambes.
Que reste-t-il maintenant?
Il y a les trots d’Alternative socialiste qui jouent aux rads d’un côté, mais qui de l’autre encouragent à voter QS. Ils n’ont pas abandonné l’idée du parti de masse, les pauvres. Parlant d’indécrottables marxistes, où sont passé-e-s les Maoïstes ? Ils étaient partout il y a quelques années seulement.
Maintenant, ils sortent leurs bannières des boules à mites pour faire semblant d’exister au folklorique défiler du 1er mai. Pour en finir, le PCQ a choisi, comme pour saboter toute forme de sympathie qui pouvait leur rester, d’appuyer le PQ de PKP. Bon débarras.
Anarchistes, ne rigolez pas trop vite. Le bon vieux temps est révolu et la première étape pour aller de l’avant, c’est de se l’avouer. Les wobs sont peut-être l’organisation la plus importante en termes de membership, lorsqu’ils ne se concentrent pas uniquement sur les conditions de travail immédiates, ils sont à la remorque des initiatives venant du communautaire, ou ironiquement, des syndicats collabos. De son côté, Subvercité avait la prétention, lorsque feu l’UCL a disparu, de fédérer les anticap. De déception en déception, elle regroupe maintenant les vieux nostalgiques qui tentent bien encore de faire quelques trucs, du bout des bras.
Pour le reste, la Page Noire agonise, l’AgitéE a fermé par manque d’implication et il y a longtemps qu’il n’y a plus d’antifa pour défendre les rues de nos quartiers. Nous avons même l’impression que nous sommes rendu au point où les tags ACAB disparaissent silencieusement des murs de Québec, effacés par le temps. Il y a bien encore quelques initiatives: un festival ici, les éternelles mêmes conférences là. Mais la lutte au pouvoir ne peut pas s’étrangler à ce stade. Nous perdons l’initiative au profil de la police et des fachos. Il y avait bien longtemps que nous avons vu les flics reculer à Québec et il est grand temps que ça change.
Les fachos ont compris quelque chose.
Ils ont compris que la société s’effondre. Et cela, monsieur-madame-tout-le-monde en ont déjà plus que la conviction profonde, ils en font l’expérience quotidienne, noyé-e-s dans la vacuité du spectacle que nous offre cette auto-proclamée « société ». Cette affirmation est tellement évidente, elle en est presque devenue ridicule. Toutes les merdes politiciennes font croire, à la télé - et maintenant sur votre blogue préféré -, qu’ils ont quelque chose de différent, qu’ils souhaitent le changement. En cela, ils sont tous pareils. Lepen est arrivée au deuxième tour avec la promesse de tout casser. Trump, dans la sophistication qu’on lui connaît, a été bien plus génial. Il n’a même pas fait l’effort de camoufler ses mensonges, bien au contraire. La seule promesse qu’il a pu faire est la promesse de sa transgression. Il a exposé sa bouffonnerie.
« Ils vont payer pour le mur ». Meh. Il a exposé les simulacres de tous les crosseurs et pour ça, il a été plus sincère que n’importe quels autres. Voilà le succès et le danger des protomilices fachos qui gagnent en popularité partout en occident comme à Québec. Ils se donnent un air bien rebelle. Ils critiquent les « médias traditionnels »… en étant appuyées par tout un armé de chroniqueurs professionnels publiés à tous les jours dans les journaux les plus lus. Mais que cela ne tienne : ils ont l’allure marginale et voilà pourquoi ils gagnent en popularité. Pourquoi pas prendre un selfie avec un gun? Ou gueuler à qui veut l’entendre, sur toutes les tribunes possibles, sa haine de l’Autre, maintenant décomplexée? Mais le danger tient en cela qu’ils veulent sauver de cette société. Là où nous sommes déterminé-e-s à la détruire, ils veulent en tirer une chimère - la nation, la patrie, la race, la tradition ou la civilisation occidentale –, y prendre une ombre pour la réaliser en acte. Il ne peut en sortir que des monstres.
Et pourtant, dans la grande majorité de la gauche et même à ses extrêmes, ils s’en trouvent encore, et des nombreux, pour souhaiter rejoindre « les masses », « la majorité » ou « le peuple ». Il faut, à tout prix – il en va du devenir de la lutte historique contemporaine contre le néo-fascisme – mettre fin à cette lubie. Il n’y a plus, dans ce « peuple »-là, que des écrans et des ombres. C’est pour cela que la stratégie d’Atalante est basée sur les photos publiées sur la fachosphère et que La Meutes revendique comme membership un groupe Facebook.
Nous devons en prendre acte parce que nous en sommes atteint-e-s, et gravement.
Le peuple qui reste, notre sujet révolutionnaire, c’est celui des affectes et maintenant nous pouvons l’affirmer : ça l’a toujours été. C’est à eux que nous devons appeler, pas à « la masse ». Nous devons apprendre que « tout va mal » est une expérience universelle, la seule seulement. Nous ne devons pas nous censurer, nous retenir. Nous ne devons pas jouer le jeu risible d’un GND. Nous ne devons pas faire semblant que l’on croit encore au projet de la modernité. Plus personne n’y croit de toute façon ; au pire, justement, on fait semblant. Le danger avec les fafs est qu’ils appellent à l’affect qui se répand dans l’expérience de la solitude et de l’écran tout en préservant l’écran et la solitude. Leur écran, c’est un miroir qui leur renvoie leur image, tous pareils. Entre leur projet et les algorithmes Facebook qui nous renvoient ce que l’on veut voir, il n’y pas de différence. Si nous devons revendiquer quelque chose dans ce chao c’est: « Le monde se meurt, qu’il crève! Il était temps. »
Il reste encore à l’assumer.
Les fachos les plus dangereux, devons-nous le rappeler, sont à trouver du côté de la police. Dans le meilleur des scénarios, les boneheads ne font que remplir le rôle de boucs émissaires, une raison pour que PQ et consorts ressortent leur charte sous prétexte qu’ils veulent couper l’herbe sous le pied aux « vrais racistes ». Bref, il faut reconnaître son ennemie. Et ce n’est pas les rasés qui ont arrêté des centaines d’ami-e-s depuis 2012, au point où beaucoup d’entre nous avons développé-e-s des PTSD. Ce ne sont pas des vieux mêlés exhibant fièrement des chandails de loups qui ont empêché à maintes reprises des manifestations de prendre la rue ou qui harcellent et humilient quotidiennement les marginaux du centre-ville. Il n’avait pas non plus de runes louches sur les uniformes de ceux qui, armés de béliers, ont délogé les squatteurs aux maisons militaires de Sainte-Foy.
Depuis trop longtemps, la police agit impunément à Québec.
Il est grand temps que quelqu’un - ou plutôt quelques-un-e-s - réponde à leur agression.
Tout le reste de nos luttes y est en jeu. En ce moment, les policiers savent bien que nous allons « coopérer » et qu’il n’y aura pas de représailles à leur répression. Une petite journée au boulot qu’ils se disent. Voilà bien le problème : nous aussi. Il en va de même pour l’attitude de tous et toutes envers les actions : nous sommes blasé-e-s. Nous anticipons les actions - les nôtres - autant que l’action de la police au point où tout nous glisse dessus imperceptiblement. Devant notre cellulaire, nous attendons que quelqu’un fasse « un event » pour le liker et peut-être y « faire un tour ».
Nous entendons déjà les cris : « Anarcho-anar! Radical! Il ne suffit pas que de casser du flics! ». Évidemment, il y a un temps et une tactique bien pesée pour tous les types d’action. L’enjeu n’est pas là. Le point est que tous les ami-e-s sont à ce point lassé-e-s qu’iles se laissent porter, même dans la praxis, et qu’en conséquence, nous avons perdu l’initiative face à la police. Même les rassemblements familiaux en paient le prix. Pourtant, il ne suffit que de quelques frappes bien placées et hop! les flics y pensent à deux fois avant de rentrer dans le tas.
Ensuite, le problème n’est pas plus numérique. Il y a ce mythe qu’à Québec ne nous sommes jamais assez nombreux pour faire quoi que ce soit. Il manque la « masse critique » dit-on. Sauf qu’il y a plusieurs façons de s’attaquer au pouvoir. Considérons ceci : il y a un nombre fini de flics et un nombre infini de cibles : des caméras, des voitures de luxe, des murs blancs, des vitres de banque, des condos en construction… d’autres flics. Nous n’avons pas besoin d’être nombreus-e-s si nous sommes couvert-e-s par l’obscurité de la nuit, un masque sur notre précieux anonymat et résolu-e-s à en découdre ensemble.
Nous voilà arrivé au noeud du problème.
Au fil des ans, lentement, nous nous sommes perdu-e-s. Nous utilisions des outils de communications, mais voilà que, petit à petit, ils se sont retourner contre nous. Ils se sont à leur tour servie de nous, jusqu’à remodeler notre subjectivité. Nous nous sommes perdu-e-s de vue et de voix. Nous ne sommes plus présent-e-s les un-e-s pour les autres. Bref, nous ne sommes plus nous. C’est là la source de notre faiblesse. Pour y remédier, il n’y a pas de solutions miracles. Nous devons créer les lieux et les occasions pour nous retrouver pour discuter, pour partager, voir pour s’amuser… voir même pour s’aimer… Heureusement, certains de ces endroits existent encore : les librairies amies (nous les connaissons), les locaux étudiants, les centres communautaires… Nous ne devons pas lésiner, nous devons les multiplier. Arrêtons un instant de se fendre la tête avec l’organisation. Mieux : foutons dehors les AGs et les « réunions larges ». Nous n’avons pas besoin de « plus d’organisation ». Si tout ce qui unit une ligne contre l’antiémeute c’est une carte de membre, nous n’irons pas bien loin. Au mieux, l’organisation est un prétexte à la rencontre.Ce que nous avons besoin c’est plus d’action ensemble. Si nous avons envie de faire un cercle de lecture, pourquoi ne pas le faire? Si nous apprécions le cinéma : un club de film anarchiste. Si nous aimons la course, est-ce que l’on pourrait courir ensemble? En plus, c’est pratique pour la prochaine émeute. Mais justement, le danger c’est que ces activités deviennent des loisirs ; que ces activités se ferment sur elles-mêmes, que les mêmes vieux visages parlent des mêmes vieux trucs. Or, il ne devrait en être rien de tel. Ces activités peuvent être ouvertes ou fermées, mais nous devons faire les liens entre elles. C’est pour cela qu’elles doivent être nombreuses et que nous devons arrêter d’hésiter. Bref, il faut construire le tissu social de la commune. Les fascistes disent : « Exister c’est combattre ce qui me nie », ils n’ont pas complètement tort. Mais le monde qu’ils habitent s’est cristallisé sur lui-même, a périclité, exactement parce qu’il ne s’est pas ouvert sur l’extérieur. Alors que justement, « le cœur de la commune est précisément ce qui lui échappe, ce qui la traverse sans qu’elle ne puisse jamais se l’approprier. »
Be careful with each other to be dangerous together comme on dit en anglais.
Après, ces actions peuvent être bien faites. Elles peuvent disposer d’une intelligence. Ou elles peuvent être stupides, manquer la cible ou accuser une défaite. Il n’y a jamais de solution définitive à ces problèmes. Toutes celles et ceux qui prétendre avoir la méthode parfaite sont des bureaucrates, des gestionnaires de communauté. Nous préférons le fardeau d’accepter et d’apprendre de nos erreurs plutôt que la facilité de se soumettre à des procédures.
Analyser la situation.
Appeler les copines et les copains.
Agir rapidement.
Apprendre puis recommencer.
C’est comme cela que nous pouvons bouger rapidement lorsque les rasés se rassemblent en ville. C’est comme cela que nous résistons efficacement contre la police. Ultimement, c’est comme cela que, dans les failles du monde, nous construisons le nôtre résolu-e-s à en détruire l’ancien.